Association des Professeurs de Français du Bénin

Rencontre littéraire mensuelle du Centre culturel Artisttik Africa de Cotonou

 L’APFB fait découvrir au public, La femme au portefeuille, le dernier roman de Gaston Zossou

 

Femme, sexe, pratiques mystiques et pouvoir étaient au rendez-vous du Débat littéraire de ce samedi 02 décembre 2017 au prestigieux Centre Culturel Artisttik Africa de Cotonou. L’APFB y recevait en effet comme invité du mois, l’ancien ministre de la culture du Bénin et écrivain Gaston Zossou.  La femme au portefeuille paru cette année aux éditions Hémisphères Zelliges, faisait l’objet de débat entre les passionnés de lecture, les étudiants de l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo et ceux du Département des Lettres Modernes de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC. Gaston Zossou a apporté des éclaircissements à l'auditoire par rapport aux choix esthétiques de son œuvre.

Le roman La femme au portefeuille dans sa forme matérielle présente en première de couverture une femme au corps joliment sculpté qui présente en image le titre de l’œuvre, représentatif du projet esthétique de l’auteur. Ce roman de 177 pages, subdivisé en 27 chapitres titrés rapporte dans un récit hétérodiégétique, l’histoire d’une sulfureuse femme, Ramath à enfance agitée,  à une vie adolescente et adulte maculée d’un comportement volage hors du commun. Une histoire-prétexte pour procéder à la peinture d’une société béninoise et africaine où, les promotions de canapé trouvent souvent leur piquant dans des pratiques occultes avec cérémonies propitiatoires fantastiques. 

                       Sexe et Pourvoir, présenter le mal pour conscientiser

Affichant un air candide, Ramath fait montre, en réalité d’une perversité inouïe. Elle est soutenue sur son parcours à l’assaut du pouvoir, par une légion de juments en furie. Le corps féminin dont tous les atouts sont mobilisés, embellis et mis à contribution, apparait dans le roman comme une redoutable arme de déstabilisation et d’atteinte d’objectif. Gaston Zossou comme Calixthe Beyala utilise la sexualité dans son livre pour peindre des femmes convaincues de détenir les meilleurs arguments pour accéder au pouvoir : l’argument de l’attrait de leur corps physique mêlant charme, relation et spiritualité, pour obtenir, une prétendue ‘’libération des femmes’’. En plaçant cette catégorie de femmes marginales au centre du livre, l’auteur montre l’ascension fulgurante d’un groupuscule de femmes aux ambitions illimitées qui ne recule devant aucun obstacle et qui, surtout, est prête à pactiser avec toutes les forces mystiques. Par ces femmes, le sexe est  utilisé comme une redoutable arme de déstabilisation politique. Ce qui ne manque pas de faire penser à Irène, personnage du roman Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala, quand elle va chez Ousmane pour la première fois. Les hommes qui ne voient en Irène qu’une fille des rues, eurent droit à un propos qui a valeur de sentences. En effet, elle ne peut ignorer leur mépris à son égard et crier, en leur montrant ses fesses : « Ces fesses sont capables de renverser le gouvernement de n’importe quelle République ! Elles me permettent de faire des trouées dans le ciel et de faire tomber la pluie si je le désire ! Elles sont capables de commander au soleil et aux astres ! C’est ça, une vraie femme, vous pigez ? »  (Femme nue, femme noire, p.  )

Si Irène parle haut et fort de son potentiel corporel, Ramath, elle,  l’utilise et l’enseigne même à ses Sœurs de Confrérie à travers ce compte rendu qu’elle fait du retour d’une  ses missions auprès du Chef de l’Etat d’un pays voisin de l’Est :

« La bataille s’est déroulée en deux phases distinctes. Dès le commencement, je lui ai asséné des coups à partir de mon visage, de ma tête, des mouvements de mon cou, comme on charge un bélier, afin qu’il tombe à la renverse. J’ai dressé des toiles d’araignée de mon sourire partout où ses yeux ternis par l’âge pourraient se poser. Puis, j’ai engagé les parties basses de mon corps dans un face à face démoniaque. Je lui ai dévoilé la moitié inférieure de mes cuisses, afin qu’il fantasmât sur la moitié supérieure de celles-ci, une idée de piège fourchue, afin que son esprit se coinçât dans le guet-apens spongieux. » (La femme au portefeuille, p.   )

Le lexique du corps et celui du combat présents dans cet extrait concourent à établir le lien entre Corps et Armement. En témoigne l’usage des mots : guerroyé, asséné des coups, piège, guet-apens qui s’associent aux mots visage, tête, cou, sourire, partie basse de corps, moitié inférieure des cuisses. C’est dire combien l’on observe à travers les pages de ce roman, un réseau lexical corpographique au sens où l’entend le critique littéraire Pascal Okri Tossou, à savoir, « la scénographie du corps par l’écrivain/scripteur, qui, au su de celui-ci ou non, est fatalement vecteur de sens, parce que composante emblématique de son projet esthétique. Le sens d’un texte se dégageant du réseau de relations que tissent les différents éléments qui le composent, le traitement de l’espace-corps distille un discours du corps pro-isotopique de la production du sens en fiction. » ( Corpologie et corpographie… p. )

 Le corps espace ou l’espace-corps de Ramath évolue au fur et à mesure du récit. De la jeune petite et naïve fille qu’on culbutait dans les enclos des moutons à la Ministre d’Etat, en passant par la jeune élève, l’étudiante, l’Assistante du Ministre des Affaires étrangères et par la suite l’Ambassadrice, le lecteur a le temps de suivre l’évolution anatomique de Ramath dont le corps a muri autant que son appétit insatiable du pouvoir. Ramath ou plus exactement l’exceptionnelle beauté du corps divinement sculpté de Ramath porte toute la charge de la diégèse du roman et l’on le note déjà à l’ouverture. Les premières phrases ne sont pas anodines et renseignent efficacement le lecteur sur le projet esthétique : « Ramath avait à peine douze ans qu’elle avait l’intime conviction que son petit corps de fillette était différent d’elle-même. Il y  avait ce corps de chair, puis il y avait sa personne à part, et les deux étaient distincts, quoique fondus en une même chose. Ce corps avait pour fonction de la révéler au monde, cependant que sa personne véritable devrait penser et agir pour le compte des deux. Puis, vint un temps où elle perçut son corps comme un outil coupant pour lui frayer son chemin dans l’épaisse forêt de la vie… » (La femme au portefeuille, p.   )

              La liberté mais surtout la responsabilité

Le corps de Ramath est donc un instrument d’ascension et de domination sociale pour échapper à la norme patriarcale qui prévaut généralement dans la société africaine. Son corps, siège de maintien du pouvoir, fait d’elle une amazone des temps modernes qui transgresse les lois traditionnelles et préétablies. Les prédictions de sa cousine germaine Fatima, les mises en garde de sa grand-mère sont un peu comme un premier éveil à la sexualité au plan psychanalytique et une étape structurante fondamentale dans la construction de sa personnalité. Un personnage doté d’une force de caractère et qui se sert de son charme, offre son corps pour remettre en cause les remparts traditionnels. Toutefois, c’est la fidélité et la détermination du personnage Ramath à rester fidèle à ses convictions amorales jusqu’au bout, qui étonne le lecteur. Une façon pour l’auteur d’insister sur le tandem Liberté mais Responsabilité. Ramath a assumé son choix du début jusqu'à la fin, et l’a payé cher. De sa mort.

L’histoire de Ramath est donc un prétexte pour aborder la question du cheminement vers le pouvoir. Si des hommes n’hésitent pas à user de ruse et de rage pour asseoir leur puissance, nombre de femmes non plus n’hésitent à enfourcher les armes de la volupté et de la jouissance. Dans ce cinquième roman de Gaston Zossou, le sexe sert à Ramath et à sa bande d’allumeuses redoutables aux pratiques mystiques, d’instrument privilégié de la conquête du Graal, de la puissance, du pouvoir. Gaston Zossou nous laisse lire un récit épicé à tous les ingrédients du fonctionnement d’une mythomane aux ambitions démesurées. A travers portrait physique, écriture de l’intime et réseau isotopique, la perfidie et l’activisme sexuel de Ramath dépourvus  de tout sentiment vrai d’amour pour ses partenaires sexuels se déploient tout au long de ce roman pour faire voyager l’imagination du lecteur. Le passage de l’écrit à l’écran est facile surtout avec ces constructions imagées, ces réseaux métaphoriques érotisés, etc.

 Le tableau peut se compléter avec les personnages masculins vite ébranlés  par le charme foudroyant de Ramath. Du maître Gaspard au jeune Innocent. Ce dernier,  bien nommé personnage en est symptomatique. Fou amoureux de Ramath. Pour l’épouser, il renonça à repartir aux Etats-Unis achever ses études doctorales. Et il ne se remettra jamais de sa déception quand il découvrit qu’il n’était qu’un insignifiant et interchangeable partenaire parmi tant d’autres.

 La simplicité de l’histoire a influencé le choix du vocabulaire accessible qui va de pair avec la fluidité de la narration. Le texte est riche en images fortes, en associations lexicales. Le style langagier puise du patrimoine culturel, les outils d’expression nécessaires à la communication philosophique de l’auteur. Les proverbes, maximes et paroles sacrées ont servi de toile de fond à un lexique qui s’équilibre entre le style courant et le soutenu. Des grappes d’histoires se laissent décortiquer progressivement à l’aune des pages qu’on avale goulument. Oui ! Avec bonheur ce livre se lit. Facilité et Fluidité en sont pour quelque chose dans cet univers où le lecteur est entrainé avec douceur, tact et diplomatie comme un profane qu’on amène au couvent pour son initiation. Les personnages disparaissent au fil des pages comme les clients de Ramath afin de laisser place à ceux en vue. L’auteur les utilise ponctuellement et s’en débarrasse tout en maintenant quelques-uns comme le fait habillement Ramath avec son cheptel viril. Même si certaines actions comme la chute du zébu dans les escaliers relèvent du fantastique et que l’option magico-spirituelle adoptée par les Sœurs de l’équipe des treize (la bande des femmes du Club de Ramath) ressemble à des stéréotypes ; même si la subversion, la transgression morale, religieuse et culturelle de Ramath ne sont pas portées à leur paroxysme (Ramath meurt d’une subite et inexplicable maladie à l’explication plutôt fantastique que scientifique, avant la tenue des élections présidentielles pour laquelle elle a œuvré à supprimer ou écarter tous ses potentiels concurrents sérieux au fauteuil), l’on retiendra la philosophie de cette œuvre qui met en avant l’immuabilité des lois naturelles qui régissent et organisent nos sociétés. Ce livre donne à voir une Afrique contemporaine aux prises avec les problèmes de sexualité et du pouvoir.

 

                                               Paterne Tchaou (Section Apfb de l’Atlantique-Sud),                 

                      Anicet Mègnigbèto (SG/Apfb) & Roger Koudoadinou (Pdt/Apfb).